Le Museon Arlaten se définit comme un musée de société. Il propose, en conduisant des enquêtes ethnographiques, d’explorer et d’interroger la société provençale contemporaine.
Les inondations de décembre 2003 ont fortement marqué les habitants d’Arles. Elles ont fait l’objet, de deux sessions d’enquêtes ethnographiques, en 2005-2006 puis en 2016-2017 qui ont apporté un éclairage sur les conséquences de la catastrophe chez les personnes sinistrées.
Vous avez dit ethnographie des inondés ?
L’ethnographie est le domaine des sciences sociales qui étudie, sur le terrain, la culture et le mode de vie de peuples ou milieux sociaux donnés. Autrefois appliquée aux populations dites, dans un contexte de colonisation, “primitives”, les champs de l’ethnographie se sont largement étendus à toutes les sociétés et groupes sociaux.
Un an et demi après les inondations, à la demande du Museon Arlaten, l’ethnologue Jean-Marc Mariottini a rencontré les habitants qui ont vécu au cœur de l’inondation. Le bilan matériel de la catastrophe est lourd : près de 8 000 sinistrés, des entreprises fermées, qui entraînent un chômage technique, des biens mobiliers et immobiliers dévastés…
Mais en s’intéressant au vécu des sinistrés, l’enquête ethnographique révèle une dimension humaine, hautement subjective et sensible, de la catastrophe.
Quand témoigner ?
D’un point de vue éthique et pratique, dans le cas d’une catastrophe il est difficile, de conduire une enquête au moment des faits, par le biais d’une « observation participante » : en matière d’ethnographie, la catastrophe reste le plus souvent un discours de l’après.
Les entretiens réalisés par le Museon Arlaten auprès des victimes des inondations de décembre 2003 se sont déroulés plus d’un an après les évènements, en 2005-2006.
Un retour d’enquête en 2016-2017 a permis de compléter ce corpus, en interrogeant les différents secteurs professionnels à l’œuvre dans ce contexte : les pompiers (SDIS), les gardes-digues (Symadrem) ou bien encore les entreprises victimes de ces inondations, telles que Lustucru ou Berthier Provence.
Cette seconde phase d’enquête a permis de mesurer, plus de 10 ans après les faits, les conséquences d’une telle catastrophe. Les discours reconstruits ont mis à jour un propos de l’après, renseignant davantage les incidences sanitaires, sociales ou émotionnelles de la catastrophe sur chacune des victimes.
Quels vécus des inondations ?
Le regard ethnographique permet de constater que la catastrophe est loin d’avoir pour unique conséquence des phénomènes de destruction : au-delà de la réalité tragique de la perte de biens matériels, il s’intéresse à l’évènement en tant qu’expérience sociale, vécue collectivement.
Il révèle la dimension fédératrice et créatrice qu’elle peut revêtir à l’échelle de la communauté des « inondés ».
L’enquête s’est intéressée au quotidien qui se recompose après le désastre : quand l’eau se retire et laisse un environnement recouvert par la boue, comment trier, nettoyer ?
Elle a également mis en lumière les dynamiques mémorielles et identitaires qui émergent au sein de la communauté touchée par la catastrophe.
Les inondations en Camargue, une histoire ancienne
Si décembre 2003 reste, pour la plupart des Arlésiens, une catastrophe sans précédent, les inondations sur le territoire ne sont pas des phénomènes récents.
La commune qui, s’étend sur toute la Camargue, de la ville à la mer, est coutumière des aléas du Rhône et du canal du Vigueirat. En témoignent les traces conservées dans les archives, des quelques 85 crues de référence qui se sont succédées depuis le début du 16e siècle sur ce vaste territoire, inondable à 86%.
L’importante politique d’endiguement mise en place par Napoléon III suite à la terrible inondation de 1856 donne l’illusion trompeuse que la ville est désormais à l’abri de ce type de catastrophe.
Comme dans toutes les villes, les habitants ont oublié que le fleuve pouvait déborder ; la prise de conscience sera brutale, ouvrant un nouveau chapitre sur la relation au fleuve et la question de la culture du risque.