Culture & Patrimoine

Les monstres du Rhône, des animaux totémiques, entre légendes et fêtes saisonnières

La Tarasque © R Benali Museon Arlaten musee de Provence jpg

Dérivant sous la surface des eaux ou sur les berges incertaines, des monstres rappellent aux riverains la dangerosité du Rhône. Ils symbolisent mystères et dangers avec la dévastation des inondations, la force des eaux et leurs tourbillons, les sombres profondeurs, les lônes secrètes, …
Ils sont différents tout le long du Rhône : c’est la Mâchecroute à Lyon, la Tarasque à Tarascon, le Drac à Arles ou à Beaucaire, la Coulobre à Vallabrègues…

 

Représentation de la mémoire collective
Les monstres du Rhône s’apparentent à des animaux totémiques ; ils sont des symboles de la création collective qui s’ancre dans l’histoire, les mythes, les légendes et contes locaux.
Traditionnellement, on les retrouve au cœur de fêtes saisonnières, comme le carnaval ou les fêtes religieuses, présents à travers des rituels liés à des légendes.
Ces cérémonies festives portent une fonction initiatique : elles offrent une scène pour rejouer l’histoire liée à l’animal totémique, sur le mode de l’exploit en portant ou en s’affrontant à sa représentation ou son effigie, ou pour exorciser les maux de la Cité dans un mode cathartique et réconciliateur.

Fleuves et dragons
Symbolisant des forces maléfiques dans la Bible, les dragons fréquemment associés aux fleuves et à leur débordement, matérialisaient la peur des riverains face aux dangers des éléments naturels qu’ils ne maitrisaient pas : sur le Rhône, Mâchecroute, Drac ou Tarasque en témoignent.
Aujourd’hui, si les animaux totémiques ont perdu leur caractère religieux, ils continuent de représenter la mémoire collective, l’identité locale et incarnent la capacité d’invention constante des communautés.

À Lyon, sous le pont de la Guillotière
« Les yeux plus gros que le ventre, la tête plus grosse que tout le reste du corps, avec d’amples et larges et effrayantes mâchoires bien dentelées, tant au-dessus, comme en dessous. », c’est ainsi qu’est décrite la Mâchecroute en 1548 par Rabelais, dans son Quart Livre.
La légende raconte qu’au Moyen Âge, le monstre, quand il n’était pas tapi sous le pont de la Guillotière, hantait les eaux du fleuve. Affamée ou mise en colère par le passage des bateaux, la Mâchecroute était redoutée par les lyonnais. On disait que d’un seul coup de queue, elle déclenchait des inondations qui pouvaient être dévastatrices. Pendant le carnaval, des effigies de la Mâchecroute étaient promenées au bout d’un bâton doré puis jetées dans le Rhône.

Les inondations de 1856
À Lyon, elles provoquent de graves dégâts sur la rive gauche du Rhône, dans le village de la Guillotière. 18 personnes perdent la vie. Après 1856, les rives du fleuve seront endiguées avec des quais en bas-ports, séparés des quais supérieurs par des murs excédant la hauteur de l’inondation dévastatrice. Le risque de la catastrophe sera oublié, tout comme la Mâchecroute.
Aujourd’hui on assiste à son retour, notamment dans le cadre du Festival Entre Rhône et Saône qui se déroule en été depuis 2022. À la faveur de la reconsidération du fleuve et de ses patrimoines, le monstre qui a perdu ses attributs effrayants est convoqué pour réactiver les liens entre les lyonnais et le Rhône.

Le Drac, à Arles et Beaucaire,
Dragon vivant au fond du Rhône, le Drac est l’objet de plusieurs interprétations mythologiques : passeur entre le monde des vivants et celui des morts, symbole de la tentation pour les hommes et les femmes, représentation du danger des eaux en furie.
Vers 1250, la légende médiévale décrit le Drac comme un monstre mi-diable mi-dragon, caché dans les abîmes du Rhône et invisible aux yeux des humains, changeant de forme au gré des circonstances. Le Drac a inspiré Frédéric Mistral qui écrit en 1893 dans son Poème du Rhône : « Blafard, il a des yeux de glace qui vous percent. Il a des cheveux longs verdâtres et flasques d’algues qui flottent au gré de l’eau sur sa tête. Il a, dit-on, les dix doigts- et les orteils- palmés comme les flamants de Camargue. Il a deux ailes de poisson derrière le dos comme claires dentelles passées au bleu. »

À Tarascon, le dragon …
La Tarasque selon la légende et décrite ainsi par Frédéric Mistral en 1859, était un dragon aux yeux de cinabre, doté d’un mufle de lion et de six pieds pour mieux courir, avec sur le dos des écailles et des dards effrayants, emportant tout dans sa caverne située sous un roc dominant le Rhône.
Comme la Mâchecroute, elle hantait les rives, renversait les bateaux qui passaient et dévorait les imprudents qui traversaient le fleuve. Il est également dit qu’elle obligeait les habitants à lui offrir chaque année en sacrifice six jeunes gens, les plus valeureux de la cité, qu’elle dévorait.
Venue de Palestine, Sainte Marthe, une chrétienne remontant le Rhône pour évangéliser la Gaule, s’arrête à Tarascon et trouve les habitants terrorisés par la Tarasque. D’après la légende, Marthe dompte l’animal et avec sa ceinture, la conduit à la foule qui la met à mort. Marthe devient alors la patronne de la ville.

… classé par l’Unesco
Étroitement associée à la légende de la fondation de Tarascon, la Tarasque, animal totémique par excellence, est l’effigie processionnelle et le monstre légendaire qui identifient la ville. La légende païenne l’évoque comme une allégorie du Rhône sortant de son lit pour terroriser les populations riveraines.
La Tarasque devenue inoffensive, est fêtée tous les printemps, et depuis 2005 a été classée chef-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de l’humanité par l’Unesco. Mais son évocation rappelle aux riverains le retour toujours possible des débordements du Rhône…

  • Baby foot et inondations ARLES 2003 © ALAIN DUMAS

    Baby foot et inondations Arles 2003

  • La Tarasque © R Benali Museon Arlaten musee de Provence jpg

    La Tarasque

  • Inondations de Lyon en © BM Lyon

    Dégâts provoqués par l’inondation de 1856 à Lyon

  • Inondation© PahVm07

    Inondations

  • L’eau du Rhône

  • Le gué sous les eaux en janvier 2018 au Grand Parc Miribel Jonage© GPMJ

    Le gué sous les eaux au Grand Parc Miribel Jonage en janvier 2018

  • Crue quai Rhône Lyon 2018 © Capsurlerhône

    Crue quai Rhône Lyon 2018

  • Inondations de Lyon en 1856 © BM Lyon

    Inondation à Lyon, vue de l’Avenue de Saxe, de l’église et la place St Pothin en 1856

  • Inondation sur les quais de Saône à Lyon © Coll Dürenmatt, Promofluvia- BM Lyon

    Inondation sur les quais de Saône à Lyon

  • Crue à Neuville sur Saône en 1910 © LBonnamour

    Crue à Neuville-sur-Saône en 1910

  • Mâchecroute Lyon © AM Lyon

    Mâchecroute Lyon