Le gué est un haut-fond naturel autrefois utilisé par les piétons, les cavaliers, les voitures attelées pour traverser les cours d’eau. Il fut, durant des millénaires, le moyen le plus pratique en l’absence de bateau, d’établir des échanges d’une rive à l’autre de la Saône en période de basses eaux. Mais lors des crues, hivernales et printanières, les passages à gué devenaient inutilisables.
Une soixantaine de gués sur la Grande Saône
Données archéologiques et documents d’archives permettent d’affirmer que ces passages étaient fréquents sur la Saône. Une soixantaine ont été recensés entre Lyon et Verdun-sur-le Doubs sur un peu moins de 170km de rivière (Dumont 2002). Les trouvailles archéologiques faites sur de nombreux gués, montrent leur stabilité depuis le Néolithique moyen ou final, soit environ 5 millénaires.
Les gués ou la navigation ?
Les hauts-fonds naturels, longtemps pratiques pour traverser la Saône, constituaient de véritables obstacles à la navigation. Dès l’époque médiévale, la rivière est franchie également grâce aux bacs et à partir de 1827 des ponts suspendus sont construits.
L’usage des gués disparait définitivement au cours du XIXe siècle avec l’accroissement de la hauteur d’eau liée à la construction des barrages destinés à rendre la navigation pérenne sur la Saône et les dragages à grande échelle.
Entre Corre et St-Jean-de-Losne, en subsistent certains, comme à Rigny sur un méandre de la rivière délaissé au profit d’une dérivation artificielle.
La mémoire de la Saône et la recherche scientifique
Voici quelques dizaines d’années encore, ici et là, des traditions locales avaient conservé la mémoire de ces passages.
Les recherches subaquatiques nous ont par ailleurs montré qu’en Chalonnais plusieurs gués avaient échappé aux destructions occasionnées par les dragages et se trouvaient conservés au fond de la rivière sous plusieurs mètres d’eau.
Les prospections bathymétriques réalisées au sud de Chalon sur le gué du Port Guillot ou encore les travaux de prospection et de fouille menés à hauteur du Port d’Ouroux à l’emplacement d’un passage aménagé à l’époque romaine, en sont de bons exemples. (Bonnamour 2000).
Plus qu’une simple traversée
Lieux de traversée obligés, de rencontres et d’échanges, les gués ont concentré de multiples activités : ports, auberges, pêcheries, relais de batellerie, habitats et parfois même nécropoles antiques sont localisés souvent sur l’une et l’autre rive, aux débouchés du gué. Ces derniers correspondent fréquemment à d’anciennes limites territoriales, communales notamment, jalonnées par des sites antiques. Rien d’étonnant donc à ce que les gués aient concentré l’essentiel des découvertes archéologiques faites dans le lit mineur de la Saône.
Le gué, un passage sacralisé ?
Certaines de ces trouvailles présentent une caractéristique surprenante observée sur tous les sites de gué de la Saône et sur nombre de cours d’eau européens : l’exceptionnelle richesse d’objets en fer, bronze ou argent et leur parfait état de conservation.
De tels vestiges ne se retrouvent jamais sur des habitats mais uniquement à l’emplacement de riches sépultures ou encore de sanctuaires.
Dès lors l’hypothèse d’une sacralisation du gué, lieu susceptible de se révéler dangereux dans certaines circonstances, se présente naturellement à notre esprit.
L’empreinte romaine
Si le fait est difficile à être prouvé pour les périodes protohistoriques, il est attesté par la fouille de deux passages aménagés à l’époque romaine : le gué du Port Guillot entre Lux et Saint Marcel et le gué de la Casaque entre Ouroux et Varennes-le-Grand.
Sur ce dernier site, la fouille a montré la présence de dépôts votifs enfouis sous les dalles de l’aménagement. On trouve des outils, des armes, comme un glaive ou des pointes de lances romaines et de la vaisselle métallique (Bonnamour, Dumont 2011) … Ultimes témoignages d’un culte à la rivière, d’offrandes faites lors de rites de passage d’une rive à l’autre, entre ciel et eau ?