Culture & Patrimoine

Ramuz et le Rhône : « la longue route qui marche »

Proposé par Pierre-François Mettan, président de l’Association des Fêtes du Rhône

C F Ramuz chez H L Mermod 1940 Centre des litteratures de Suisse romande Universite de Lausanne

Ramuz a peu voyagé, attaché au pays et à ses paysages, comme « une bête à un pieu ». Une lecture simpliste en a fait un écrivain du terroir alors que son œuvre a pour vocation d’aborder des thèmes universels.

Regards sur la société
Autant à Paris où il parfait sa formation littéraire que dans les villages vaudois ou valaisans, il est frappé de découvrir des communautés ou les individus sont « posés les uns à côté des autres », sans communier à ce qui les rassemble : un lieu, un art de vivre, une manière de parler ou de célébrer « la beauté sur la terre ».

Le Rhône, entre Suisse et France
Le Rhône a été pour Ramuz plus qu’un trait d’union mais une route vivante. Dans un aller-retour fécond entre deux pays, il s’agissait pour lui non seulement de descendre du berceau des glaciers à la mer maternelle mais aussi de remonter le cours du fleuve car, dit-il, « la pensée remonte les fleuves ».

Liés à la nature
La parution conjointe des œuvres complètes accompagnée de celle de ses romans aux éditions de la Pléiade a donné une idée de l’ampleur de la production littéraire de Charles Ferdinand Ramuz (1878-1947), probablement avec Jean-Jacques Rousseau l’écrivain le plus important de la Suisse francophone.
Les deux écrivains ont en commun de vivre et de décrire un lien très fort à la nature :
« La nature n’est pas un décor pour moi ; elle est essentiellement le contraire d’un décor (…). [Elle] a toujours été mêlée étroitement à ma vie et y a toujours joué un rôle actif. »

L’attachement au Valais
Ramuz, l’auteur de cette citation, a vécu presque toute sa vie près de Lausanne, dans une maison d’où il voyait le lac Léman, « notre Méditerranée à nous ».
Mais sa terre d’adoption, c’est le Valais qu’il a découvert grâce aux peintres et dans lequel il fera d’assez longs séjours : le très pudique Ramuz en fera son « lieu aimé ».
Dans Vues sur le Valais (1943), livre de commande agrémenté de photographies, il scrute le pays, avec son fameux œil d’épervier et comprend la géographie unique du canton qu’il compare à « une corbeille allongée en forme de berceau […] ayant la forme d’une feuille, avec une nervure centrale qui est le Rhône » : puis il décrit la vie dure de ce pays « pas commode », en cassant le cliché d’un pays fermé sur lui-même :
Un petit monde fermé. Un petit monde entouré de montagnes et qui est ouvert à un de ses bouts si étroitement que le fleuve n’y passe que tout juste par une porte qu’il s’est pratiquée lui-même dans l’entassement des rochers ; – et cependant un petit monde ouvert. Et même un petit monde préposé à la circulation, parce qu’il est situé sur la route qui mène des pays du nord aux pays méditerranéens, de l’Allemagne en Italie. 

Le Rhône en images
La langue de Ramuz, comme celle de Jean Giono, est très métaphorique. Le Rhône vu d’en haut est tour à tour « ruban clair » (Le Village dans la montagne), « barre d’argent » (Jean-Luc persécuté), « un bout de fil gris » (La Séparation des races), « une cordelette blanche dans un espèce de savon » (Farinet), « un serpent parmi les pierres » (Derborence), « une barre jaune dans l’eau » (Le Garçon savoyard), « une longue route qui marche » (Vues sur le Valais) …
Ces images proviennent toutes du monde qu’elles décrivent : le berceau, le ruban, le chemin, le serpent, font partie de la vie quotidienne des paysans qui sont les personnages de ses romans. Ramuz choisit la banalité du réel et échappe aux images convenues sur le Rhône, comme celles du fleuve taureau ou du cheval fougueux, qui fleurissent dans la littérature rhodanienne.

Le Chant des pays du Rhône, ouvert sur l’horizon
Le lien très fort de Ramuz avec le Rhône trouve sa plus belle expression dans un ample poème en prose lyrique, Chant des pays du Rhône, écrit dans un moment d’euphorie lyrique.
Après la Première Guerre mondiale, Ramuz a le souhait de réconcilier et de rassembler les peuples autour de valeurs communes. Le livre est publié à un moment clé, celui où coïncident l’émergence des mouvements rhodaniens et la volonté politique d’apporter par l’aménagement du Rhône comme grande voie navigable internationale un contrepoids politique et économique à l’Allemagne, puissance fluviale.
Pour le poète, le fleuve lie la montagne et la mer, il crée une unité autour d’une « filiation » et de « ressemblances » :
Et je montre le roc, la vigne, le cyprès, le figuier, le pêcher ; je dis ces murs, je dis ces toits, je dis l’architecture des maisons, l’architecture du terrain ; je dis langue d’oc, hommes de chez nous, Valaisans, Savoyards, Vaudois ; et, cherchant à connaître enfin la cause de ces ressemblances, je vois l’eau, je trouve de l’eau, je trouve le Rhône et le lac ; je vois les espaces du lac être pères de tout le reste, puis que ce lac est né d’ailleurs et que ce lac se porte ailleurs, que ce lac est un fleuve, que ce lac a un cours.
D’autres disent
Vater Rhein, pourquoi pas nous aussi ? dans notre langue à nous, par vénération et pour remercier, et affirmer une filiation et en même temps tourner le dos, parce que cet autre cours pousse vers le nord une eau verte, et celui dont il est question, c’est vers le midi une eau blanche ou bleue, et vers un plus grand bleu encore qui l’attend.

L’écrivain a hésité sur le titre de ce poème en prose, transformant le titre initial Chant de notre Rhône en Chant des pays du Rhône avant de revenir au premier titre.
Pourtant, il ne faut pas comprendre l’usage de la première personne dans un sens qui restreindrait le cours du fleuve à la Suisse romande.
Pour Ramuz, l’appartenance n’a que faire des frontières et des identités figées.

  • Vues sur le Valais C.F.Ramuz Centre des littératures de Suisse romande Université de Lausanne

    « Vues sur le Valais » C.F.Ramuz

  • C F Ramuz par Kurt Businger fevrier 1941 Centre des litteratures de Suisse romande Universite de Lausanne

    C. F. Ramuz par Kurt Businger février 1941

  • ecture Chant de notre Rhone Centre des littératures de Suisse romande Université de Lausanne

    Lecture par C.F. RAMUZ du  » Chant de notre Rhône « 

  • C F Ramuz chez H L Mermod 1940 Centre des litteratures de Suisse romande Universite de Lausanne

    C.F. Ramuz chez H.L. Mermod en 1940