La photographe Jacqueline Salmon présente des vues du Rhône étranges, inhabituelles pour un cours d’eau souvent qualifié d’impétueux, de taureau furieux courant vers la Méditerranée.
Elle photographie des lônes, ces bras ouverts et mouvants sur le fleuve.
En retrait du lit principal, les lônes sont alimentées par infiltration depuis la nappe alluviale ou par le fleuve lors des crues.
Leur tracé peut fortement évoluer sous la puissance des remous et la quantité de sédiments déplacés.
Dans ces espaces qui semblent abandonnés, un écosystème riche et essentiel à la biodiversité s’y développe.
Pour Jacqueline Salmon « la photographie est devenue une manière de vivre, d’écrire, de s’intéresser aux autres, une manière de prendre la parole et de déplacer les questions sociales dans le champ de l’art. Une manière de creuser la question de la représentation du monde géographique et politique avec un outil qui la passionne parce qu’il ne cesse de d’élargir ses possibles. »
Voici son retour sur sa démarche créatrice concernant cette série de photographies :
« Près du fleuve craint et sacralisé jadis, dominé aujourd’hui ; dans les lônes interdites, on peut encore éprouver les émotions des hommes d’avant l’Histoire, d’avant les religions ; aller à l’origine des formes symboliques du sacré ; à la quête de cette intuition poétique du Divin, à la manière de Hölderlin ou de Friedrich.
La commande sur le thème du Rhône et du sacré, par la Conservation du département de la Drôme a suscité en moi cette quête du sacré dans le paysage.
Les églises, les croix de chemins me sont apparus d’ordre purement humain.
J’ai cherché parce que j’étais sûre de les trouver, des traces de l’ordre du Divin, dans le paysage.
Les totems, les stèles, les croix de marinier, les poupées magiques, les miroirs de sorcières, et les décors des récents ébats des êtres immatériels qui ont habités là, qui y habitent encore, existent : Le fleuve d’aujourd‘hui les construit.
Je me suis laissée conduire, par les textes de Bachelard, d’Edgar Poe, et par cette certitude : Les premiers Égyptiens ont construit leur temple sur le modèle de la forêt de Papyrus noyées par le Nil : l’homme invente les formes du sacré en recopiant la nature. »
Jacqueline Salmon, Charnay 26 octobre 1990.