Le Poème du Rhône
« Salut, empire du soleil, que borde comme un ourlet d’argent, le Rhône éblouissant ! Empire de plaisance et d’allégresse ! » [Chant II, XVIII]
Lorsqu’il écrit « Le poème du Rhône », Frédéric Mistral est au sommet de son art. Le fleuve, présent dans son imaginaire poétique, exerce une fascination sur lui. Fresque ethnographique dédiée au peuple rhodanien, le texte renseigne sur le Rhône, fleuve frontière et passage, fleuve de travailleurs et espace de liberté où les pratiques religieuses croisent le monde des légendes.
Decize et remonte du fleuve, ce « chemin qui marche »
Le poème du Rhône embarque le lecteur pour une décize, de Lyon jusqu’en Provence, à Beaucaire, en compagnie de l’équipage du Caburle et son train de barques conduit par Maitre Apian et ses fiers mariniers.
Si la décize à la voile ou portée par les courants du fleuve, s’effectuait en quelques jours, la remonte du Rhône se faisait grâce au halage des chevaux. Sa durée était incertaine, il fallait compter au moins une trentaine de jours d’Arles à Lyon. Ainsi Maitre Apian avec ses sept barques, ses quatre-vingt chevaux de remonte et les hommes de son équipage partent pour un voyage de trois mois, et qui sait, quatre, sur le fleuve.
En juillet 1829, « Le Pionnier » est le premier bateau à vapeur à effectuer un aller-retour complet Lyon-Arles-Lyon. La descente s’effectue en 14h25, la remontée en 88 heures ! Un record de vitesse qui ouvre un nouveau chapitre sur le Rhône… Le nombre de chevaux parcourant les chemins de halage du Bas-Rhône passe de 6 000 en 1830, à 840 en 1843. Dix ans plus tard, ils ne sont plus que 120.
Le fleuve, un marché sur l’eau
Nombreuses et variées sont les marchandises transportées sur les sept barques de l’équipage de Maitre Apian : charbon de Givors, sacs de violettes, métallurgie du Nord et fusils de la Manufacture de Saint-Étienne, … sans compter, en prévision de la remonte du fleuve, les chevaux et leur nourriture. À la foire de la Madeleine, les mariniers chargeront sel marin, blé de Toulouse, vin du Languedoc, riz et miel de Lombardie, dalles de savon, …
Pour son poème, Frédéric Mistral réactive cette célèbre foire, qui, au XVIIe et au XVIIIe siècle, drainait un trafic international sur le fleuve à Beaucaire.
Dialogue et proximité avec un monde mystérieux
Dans le Poème du Rhône, la jeune Anglore est séduite par le Drac, seigneur mi-homme mi-dieu des eaux du Rhône. Amoureuse de Guilhem, Prince d’Orange et passager sur le Caburle, elle confond les deux, à l’interface entre le monde subaquatique et mystérieux du Drac, et celui de la vie des hommes à la surface du fleuve.
Le mouvement de l’Histoire
La mécanique monstrueuse, symbole de modernité, va briser un mode de vie et un rapport au fleuve séculaire.
Avec ce texte, Frédéric Mistral annonce la fin d’un monde, celui de la batellerie traditionnelle et ses grand équipages, mise en scène dans le naufrage du train de bateaux de Maitre Apian.
Avec la révolution industrielle, les bateaux à vapeur puis le chemin de fer, le fleuve entre dans une nouvelle ère.