Stéphane Gaillot est géomorphologue au Service Archéologique de la Ville de Lyon. Il étudie le paysage ancien, son évolution et celle des cours d’eau qui ont un rôle important dans l’histoire de la cité.
La série des portraits En direct du fleuve propose des rendez-vous avec des personnes qui développent un lien particulier au Rhône ou à la Saône. Aux mêmes questions, différentes réponses nous donnent par ricochet, de nouvelles vues sur le fleuve !
Bonjour Stéphane Gaillot pouvez-vous vous présenter en quelques lignes et nous parler du lien que vous avez avec le Rhône ?
Je suis géomorphologue au Service Archéologique de la Ville de Lyon.
Le Rhône, la Saône, et leurs petits affluents, aujourd’hui invisibles dans la ville car leurs tracés sont souterrains, nous intéressent. En effet le comportement des cours d’eau, quelque soit leur taille, est toujours un élément d’explication à l’histoire des sites archéologiques qui leur sont proches. À Lyon il s’agit notamment des sites de Vaise, en bord de Saône, occupés dès la fin de la Préhistoire, et de la Presqu’île, entre Rhône et Saône, occupée depuis l’antiquité. Les populations qui y résidaient tiraient avantages de la proximité des eaux vives (navigation, commerce, moulinage, usages domestiques de l’eau) mais ils en subissaient aussi, parfois, les « caprices » (crues, sécheresses, gels, etc…).
Donnez-nous trois ou quatre adjectifs pour décrire le Rhône
– Le premier est « artificialisé » : le paysage et le fonctionnement hydro-sédimentaire de ces deux cours d’eau n’ont plus grand chose à voir avec ce qu’ils étaient à leur état « naturel », en tous cas avant l’édification des lourds aménagements fluviaux, à partir du début du XIXe s. (barrages, endiguements, extractions…).
– Le deuxième est, paradoxalement, « naturel » : à Lyon, le Rhône et la Saône restent quand même des fenêtres naturelles au sein d’un paysage urbain par définition très artificialisé.
– Le troisième est « glaciaire » : avant que n’apparaissent le réchauffement climatique contemporain et le phénomène d’îlot de chaleur urbaine, le Rhône et surtout la Saône, gelaient presque chaque année. Cela empêchait la navigation, arrêtait les moulins à eaux, et surtout, provoquait de très graves dégâts aux ponts lyonnais au moment du dégel, quand de véritables petits « icebergs » étaient charriés par les eaux de fontes. On a des témoignages historiques spectaculaires à propos de ce risque naturel aujourd’hui disparu.
Quel est votre meilleur souvenir avec le Rhône, ou un autre fleuve ?
Une partie de pêche avec mon jeune fils à la Mulatière, donc très en aval sur la Saône. Il a attrapé son premier brochet, que nous avons bien entendu relâché. Et moi j’étais bredouille…
Avez-vous un fleuve préféré, lequel, pourquoi ?
Ce n’est pas un fleuve mais un petit affluent du Rhône, le Seran, qui chemine au fond du Valromay, dans le massif du Bugey. Un petit paradis pour les naturalistes et les amateurs de calme.
Quel avenir imaginez-vous pour le Rhône ?
Je suis malheureusement pessimiste. J’ai peur que les améliorations écologiques engagées soient trop superficielles et trop lentes compte-tenu de l’urgence climatique et écologique que l’on ne peut plus ignorer. Rappelons par exemple que depuis 2007 on ne peut plus consommer le poisson à cause de la pollution au PCB, alors qu’il s’agissait d’une ressource traditionnelle des populations riveraines… Si les discours sont, quelques soient les acteurs du Rhône, à la responsabilité environnementale, j’ai bien peur qu’il s’agisse plus souvent de « greenwashing » que d’autre chose. Les communicants sont passés par là. Mais je souhaite que l’avenir me donne tort.
Parmi celles qui vous sont présentées, quelle citation préférez-vous ? Pourquoi ?
LA PASSIONNÉE
On dit d’un fleuve emportant tout qu’il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l’enserrent.
Bertolt Brecht
Cette citation s’applique parfaitement à la situation du Rhône et de la Saône dans Lyon. Il y a trente ans, assistant au cours du géographe Jean Pelletier, je notais qu’à Lyon « les quais étranglent leurs fleuves ». Cela suggère bien la violence de l’artificialisation des rives, même s’il faut reconnaitre que depuis le règne du « tout bagnole » des années 1970, la situation s’est améliorée (opérations urbanistiques des Berges du Rhône et des Rives de Saône).