Portrait

Mathieu Argaud

en direct du fleuve

Portrait Mathieu Argaud © Romain Etienne

Mathieu Argaud dirige l’agence Bipolar qui produit des œuvres à l’intersection des arts, de la science et des technologies, en portant avec les artistes un éclairage tout particulier sur l’urgence écologique.
Il a conçu l’exposition collective BigTorrent, lauréat de l’appel à projet sur la culture du risque inondation de la DREAL AURA.

La série des portraits En direct du fleuve propose des rendez-vous avec des personnes qui développent un lien particulier au Rhône ou à la Saône. Aux mêmes questions, différentes réponses nous donnent par ricochet, de nouvelles vues sur le fleuve !

Bonjour Mathieu Argaud pouvez-vous vous présenter en quelques lignes et nous parler du lien que vous avez avec le Rhône ?

Natif de St Etienne, je vis à Montpellier depuis 20 ans.
Je me suis plongé dans les enjeux liés aux inondations du Rhône et de la Saône pour répondre à l’appel à projet DREAL AURA en 2017. Je me suis rendu compte que je connaissais mal le Rhône et la Saône dans leurs composantes territoriales, pour construire le projet BigTorrent j’ai entrepris de remonter le linéaire du Rhône et de la Saône en van, pendant environ 10 jours. J’ai été marqué par la « chenalisation » du Rhône et le peu de relation entre les riverains et le fleuve en dehors des villes qui ont aménagé les berges comme Lyon ou Avignon.
« Le Rhône est mort » a dit un pêcheur en réponse à Gwendal Le Goff le réalisateur du film « Rhône » qui lui demandait de témoigner du passé du fleuve. En 12 mn, Gwendal Le Goff fait la synthèse de près d’un siècle d’industrialisation du Rhône, les monstres fluviaux d’antan ont été remplacés par les industries polluantes et les riverains ont perdu toute relation intime au fleuve, jusqu’à ignorer sa capacité à déborder. La Tarasque faisait finalement beaucoup mieux le job que nous pour prévenir les habitants de la dangerosité du fleuve.

Avant cela, comme la plupart des gens, je suivais le Rhône sur l’autoroute sans le voir, ignorant un siècle de transformation, aujourd’hui j’ai une relation plus intime avec le fleuve, il a une personnalité, une histoire et une voix, celle des riverains !

Il y a eu 4 éditions de l’exposition BigTorrent. Nous avons recueilli énormément de témoignages, des souvenirs d’enfance, de pêches ou de baignades, les pique-nique familiaux sur les berges. Des témoignages d’inondations bien sûr, les nuits de terreur pour certains et la crainte que tout recommence avec une urbanisation qui continue d’ignorer les risques en rendant constructibles des zones inondables.
Je vais continuer de travailler sur ce fleuve avec les artistes, créer de nouveaux formats de rencontres avec les riverains autour des œuvres bien sûr mais aussi autour de leur relation intime au fleuve.
En proposant des expériences artistiques sur les abords du fleuve, on créé de la mémoire. J’aimerai pour la suite, imaginer avec les artistes des dispositifs de partage, j’adorerai qu’on puisse organiser un repas sur le fleuve, écouter un musicien qui joue sur une barge et contempler au lointain une œuvre monumentale qui s’allume dans la nuit. Au début d’un projet il faut rêver !

Donnez-nous trois ou quatre adjectifs pour décrire le Rhône

Dénaturé
Puissant
Majestueux
Corseté

Quel est votre meilleur souvenir avec le Rhône, ou un autre fleuve ? Une photo que vous affectionnez particulièrement, pourquoi ?

Une balade en bateau sur le Rhône la nuit avec l’artiste Julie Rousse qui mixait en direct, on est passé près d’une usine dont les cheminées crachaient du feu, c’était très beau : calme et apocalyptique.

Une photo de Bertrand Stofleth tiré du projet Rhodanie. On voit le Glacier du Rhône recouvert d’une grande bâche blanche, avec une passerelle pour que le public accède au tunnel qui a été creusé. C‘est une grande émotion que de voir un glacier recouvert pour qu’il fonde moins vite. C’est un geste tellement vain. Je pense aussi à l’artiste Christo qui emballait pour mieux révéler.

Avez-vous un fleuve préféré, lequel, pourquoi ?

Le Mississippi pour ses méandres. Il existe une superbe carte qui représente les différents cours que le Mississippi a suivis depuis des siècles. Cette carte qui serpente sur les 3700 kilomètres du Mississippi a été réalisée suite à une étude géologique du corps des ingénieurs de l’armée américaine en 1944. Chaque couleur représente le trajet que le fleuve empruntait à une époque différente.

Quel avenir imaginez-vous pour le Rhône ?

J’imagine un Rhône qui pourrait s’exprimer pour prendre part aux débats qui agitent les institutions et s’emparer des enjeux écologiques qui se jouent autour de lui.
Je crois que la « nature » a des réponses à nous offrir si on veut bien comprendre comment l’écouter.

Parmi celles qui vous sont présentées, quelle citation préférez-vous ? Pourquoi ?

L’ANTIQUE

On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve

Héraclite d’Éphèse

Parce que la vie c’est tout ce qui n’est pas définitif. La vie, c’est ce qui se meut, se déplace, se transforme. « Tout devenir nait de la lutte des contraires » disait Friedrich Nietzsche. Les espaces naturels deviennent des espaces de luttes aujourd’hui.