Portrait

Léonie Pondevie

en direct du fleuve

Leonie Pondevie © DR

Léonie Pondevie est photographe et décrit sa profession comme celle « d’artiste-auteur ».
Mais aussi, elle est aventurière du banal, exploratrice des marges, chercheuse des bacs à sable, archéologue du « comment ça a mal tourné, ici ? », collectionneuse des histoires de l’anthropocène.
Elle a rencontré le Rhône dans le cadre d’une résidence de création, invitée par Simultania, un pôle de photographie implanté à Givors.

La série des portraits En direct du fleuve propose des rendez-vous avec des personnes qui développent un lien particulier au Rhône ou à la Saône. Aux mêmes questions, différentes réponses nous donnent par ricochet, de nouvelles vues sur le fleuve !

 

Bonjour Léonie Pondevie, pouvez-vous vous présenter en quelques lignes et nous parler du lien que vous avez avec le Rhône ?

Observer les paysages est, pour moi, un moyen de tenter de savoir qui nous sommes. Mon travail prend essence dans l’étude de l’anthropisation, le processus par lequel les populations transforment le territoire par leurs activités. Mes projets puisent leurs origines dans les documents, les anecdotes historiques, les histoires entendues dont les sources varient entre des enquêtes menées sur le terrain ou via Google Earth. Il s’agit toujours d’une errance minutieuse qui m’amène à me questionner sur nos constructions mentales et notre manière d’habiter les paysages. Par la photographie, je tente de capturer des fragments d’un territoire et les strates mémorielles qui le composent. Je creuse des histoires intimes et lointaines, je creuse des mythes, creuse pour savoir comment nous avons heurté la géologie terrestre. Par la déambulation, je documente un état des lieux de ces espaces et capture l’étrangeté du réel pour y lover mes fictions. Puis, les poches et les yeux remplis d’images, je prolonge ces récits à travers l’installation, le dessin et l’écriture, médiums installant un nouveau rapport au temps, une distance.
La résidence de création à Givors a duré 2 mois. Deux mois, c’est court, mais ne croyez pas que cette relation n’a été que passagère pour moi. Le Rhône m’a touchée dans ses bouleversements, heurtée dans le rapport que nous entretenons aujourd’hui avec lui.
Je l’ai arpenté des jours durant, en tous sens, l’ai connu débordant, bouillonnant, puis presque sec, laissant entrevoir ses plages de sable gris.

Donnez-nous trois ou quatre adjectifs pour décrire le Rhône

Sauvage, muselé, mouvant, fertile

Quel est votre meilleur souvenir avec le Rhône, ou un autre fleuve ?

Durant ma résidence, j’ai découvert à quelques pas de Givors des rives sauvages où se découvraient parfois de petites plages.
Là, je ne croisais jamais personne.
J’avais l’impression d’être la première à marcher dans le sable gris, à arpenter ces espaces pourtant si proches de la ville.
Dans une volonté de recréer du lien entre les habitants et le fleuve, j’ai proposé à une famille d’organiser une journée « plage ». Nous nous sommes retrouvés le jour de mon anniversaire, par un simple hasard. Ils avaient proposé à des amis de nous rejoindre, et sont ainsi arrivés à une vingtaine de personnes, jeunes et moins jeunes, armés de parasols et tapis de plage.
Dès cet instant, j’ai compris que mon idée m’avait dépassée, que tous ces gens s’en étaient emparés pour lui donner vie. Sur la plage, les serviettes se sont posées, les sandales enlevées, et les orteils se sont enfouis dans le sable. Certains se sont baignés dans le Rhône, d’autres ont construit des châteaux de sable, dessiné des sirènes, ri ou chanté. Ils ne connaissaient pas cet endroit.
Donner une existence aux récits imaginaires que je projetais sur ces espaces a été un cadeau d’anniversaire merveilleux, inespéré.

De votre résidence, avez-vous une (ou plusieurs) photographies que affectionnez particulièrement, pourquoi ?

Je pense à cette photographie d’un enfant qui apprend à jeter la bouée. Ce petit garçon est issu d’une famille de sauveteurs-jouteurs et cette tradition se transmet de génération en génération. Par la discipline de la joute nautique, ce sont surtout des histoires qui se transmettent, comme un apprentissage du Rhône dans ce qu’il est et ce qu’il a été. Auprès des anciens de cette association, j’ai appris combien le fleuve avait compté dans leurs vies.
Beaucoup ont appris à nager dans les lônes, autrefois les gens se retrouvaient au bord du fleuve, ils vivaient avec lui. Ce sont aujourd’hui les rares à continuer de braver la frénésie de ses courants à la barque, à perpétuer la culture du risque des inondations, pour ne pas oublier que le Rhône est vivant, puissant, malgré nos tentatives de le contrôler.
Puis il y a aussi cette image du château de sable, qui me touche particulièrement pour ce qu’elle représente. Elle me raconte que nous devons repenser nos usages et reconstruire notre lien avec le fleuve, redevenir enfants parfois, pour s’imaginer un avenir commun.

Avez-vous un fleuve préféré, lequel, pourquoi ?

Peu de fleuves ont jusqu’à lors peuplé mon existence. Je n’ai connu que le Rhône et la Loire près de laquelle j’ai grandi, et les deux continuent de m’habiter. Je me souviens, enfant, chercher des vestiges dans le lit de la Loire comme on chercherait des trésors. Je voulais être archéologue. Mais il est aussi un fleuve que je n’ai pas encore rencontré et dont je porte le nom. La Vie est un fleuve côtier qui coule en Vendée, d’où sont originaires mes ancêtres. On raconte que des passeurs qui permettaient aux gens de le traverser portaient ce nom, Pondevie…

Quel avenir imaginez-vous pour le Rhône ?

Pour de nombreux riverains, traverser le fleuve a longtemps représenté un rituel de passage à l’âge adulte. Pour moi, cette traversée a été l’acte inverse.
Regarder le Rhône avec les yeux d’un enfant, c’est peut-être tenter d’y construire les fictions merveilleuses que l’on souhaite y projeter. Je crois que nous avons aussi besoin de cela pour renouer une intimité avec ce fleuve longtemps vicié, asphyxié, entravé.
Je pense au Gange qui a subi la fougue et les folies de l’homme, et qui a été reconnu comme une entité vivante, statut lui conférant les mêmes droits qu’une personne. Le Rhône a mérité cette reconnaissance qui, si elle n’est que l’une des solutions, serait une première étape de sa résilience. Je terminerai en citant le géographe Roger Brunet : Nous devons apprendre à ménager le fleuve plutôt qu’à l’aménager.

Parmi celles qui vous sont présentées, quelle citation préférez-vous ? Pourquoi ?

J’aurais aussi pu choisir l’antique, qui décrit aussi bien ma fascination pour les transformations du Rhône et de ses rives au fil des mois.
La passionnée m’évoque de nombreuses discussions avec des promeneurs, des spécialistes du Rhône, qui tous me rappelaient qu’il ne fallait jamais sous-estimer le fleuve. L’Homme a déployé tous ses efforts pour le contenir ; enrochant ses berges, asphyxiant ses lônes, entravant son cours, déviant son chemin. Réguler le fleuve pour éviter qu’il ne nous échappe. De l’eau presque constante, jamais impétueuse, jamais absente. Tranquillisée comme l’esprit des gens.
Si nous nous penchons sur la violence du fleuve, peut-être n’est-ce que notre reflet qu’il nous renvoie.

LA PASSIONNÉE

On dit d’un fleuve emportant tout qu’il est violent, mais on ne dit jamais de la violence des rives qui l’enserrent.

Bertol Brecht

  • Givors est une ile© Leonie Pondevie

    Givors est une île

  • Plage du Rhone © Leonie Pondevie

    Givors est une île