Jean-Jacques Fresko est journaliste au long cours : il fut rédacteur en chef de la revue jeunesse Okapi pendant 5 ans, puis du magazine Terre Sauvage pendant 12 ans. En 2016 il s’associe à L’Agence Nature, puis devient rédacteur en chef pour le magazine en ligne Actualités, Nature & Société.
Jean-Jacques Fresko est le parrain du concours d’écriture « Dans les courants du fleuve », aux côtés de l’écrivaine Hélène Frappat.
La série des portraits En direct du fleuve propose des rendez-vous avec des personnes qui développent un lien particulier au Rhône ou à la Saône. Aux mêmes questions, différentes réponses nous donnent par ricochet, de nouvelles vues sur le fleuve !
Bonjour Jean-Jacques Fresko pouvez-vous vous présenter en quelques lignes et nous parler du lien que vous avez avec le Rhône ?
On se fréquente respectueusement depuis longtemps, le Rhône et moi !
Mon plus ancien souvenir avec lui est un émerveillement de gamin, dans les années 1960 : un détour avec la Coccinelle Volkswagen pour aller admirer le barrage de Donzère-Mondragon.
Un concentré de puissance, une promesse d’énergie profuse, de confort et de bonheur pour tous. A y repenser, un totem des Trente Glorieuses. Évidemment aujourd’hui, avec mon casier judiciaire de journaliste spécialisé dans la nature et la biodiversité, l’émerveillement est un peu envolé…
Le Rhône est devenu à mes yeux une usine hydro-électrique à ciel ouvert, encagé, canalisé, corseté de ses barrages successifs qui font de lui l’équivalent d’une centrale nucléaire en terme de puissance électrique installée. Sans parler des centrales nucléaires, les vraies, qui le bordent et qu’il refroidit. Un géant empêché, ligoté, bouffi de ses sédiments qui ne voyagent plus et sont désormais incapables de fabriquer de la Camargue. Un géant interdit de divagation, qui se venge de loin en loin …
Mais j’ai aussi une histoire plus intime avec le Rhône. Cette histoire porte un nom : le ruisseau de la Grenouille, aussi appelé La Torne. À peine 7 kilomètres tout mouillé. Mais renforcé tout de même d’un affluent –oh, modeste !- le ruisseau des Gargarottes, à peine 1,4 km.
Le Rhône, dans tout ça ? Patience, on y vient, mais doucement… À Saint-Baldoph, où j’ai vécu une quinzaine d’années, la Grenouille se jette dans l’Albanne. Sur ses berges on emmène les enfants voir les traces du castor : les crayons soigneusement taillés. Avec de la patience, et un peu de chance, on rencontre même le castor lui-même.
Plus loin, à Chambéry, les eaux de l’Albanne se mêlent à celles de la Leysse. Et celle-ci finit sa course dans le lac du Bourget. Fin de l’histoire ?
Le lac du Bourget est le plus vaste lac naturel français. L’eau de la Grenouille qui aura coulé, l’été, entre mes doigts de pieds, mettra entre sept et dix ans pour traverser le lac et, via le canal de Savières, se retrouver… devinez où ? Dans le Rhône. Mon ruisseau de la Grenouille : voilà la source du Rhône, la seule, la vraie. À mes yeux en tout cas. Se méfier des contrefaçons : si on les écoute les Suisses vous diront que le Rhône nait chez eux. Foutaises. Le Rhône est le fils de la Grenouille. Puisque je vous le dis…
Donnez-nous trois ou quatre adjectifs pour décrire le Rhône
Vaste, mystérieux, sauvage, empoisonné, pollué.
Quel est votre meilleur souvenir avec le Rhône, ou un autre fleuve ?
Voir plus haut !
Pourquoi avez-vous accepté d’être parrain du concours Dans les courants du fleuve ?
A cause du pluriel. LeS courantS.
Parce que le Rhône charrie –à défauts de sédiments- mille histoires, mille projets. Parce qu’un seul courant c’est mortel : voyez les partis politiques…
Qu’attendez-vous de ce concours ?
Des histoires, encore des histoires, toujours des histoires…
Donnez-nous trois ou quatre adjectifs pour décrire le Rhône
Puissant, asservi, insolent, imprévu
Avez-vous un fleuve préféré, lequel, pourquoi ?
Le Nil : autre géant empêché.
Quel avenir imaginez-vous pour le Rhône ?
On ne remonte pas le cours du fleuve… Il restera sans doute encagé comme il l’est. Peut-être recouvrera-t-il, ici ou là, une partie de sa fougue sauvage.
Parmi celles qui vous sont présentées, quelle citation préférez-vous ? Pourquoi ?
Parce qu’elle rappelle qu’à un moment ou un autre, tous les parents sont des « vieux cons ».
LA POÉTIQUE
La source désapprouve presque toujours l’itinéraire du d’un fleuve.
Jean Cocteau