Portrait

Compagnie Troisième Rêve Théâtre

portrait en direct du fleuve, Michel Tallaron et Marianne Salmon

Au Musee departemental Arles antique © Compagnie du Troisieme reve

Michel Tallaron, metteur en scène et Marianne Salmon, comédienne, codirigent depuis plus de 20 ans la compagnie Troisième Rêve Théâtre. Depuis de nombreuses années, les créations de la compagnie se nourrissent de la présence immédiate et intemporelle du fleuve, du Rhône en particulier, qui est devenu source d’inspiration permanente et inépuisable.

Bonjour Marianne et Michel, pouvez-vous vous présenter en quelques lignes et nous parler du lien que vous avez avec le Rhône ?

Notre ligne de travail est celle du théâtre contemporain et de la poésie dramatique. Nous aimons sortir des salles de spectacle et aller à la rencontre des publics dans des lieux nouveaux. Alors l’acte poétique prend à nos yeux tout son sens. Il devient partage d’expérience sensorielle, voire rituel collectif et non plus simplement consommation d’un bien culturel dans un contexte convenu.
Nous sommes des nomades, et le fleuve offre comme un fil d’Ariane à nos déambulations, un chemin à suivre, à remonter, à traverser, à contempler… Nous l’avons parcouru et retourné dans tous les sens : source, embouchure, profondeurs, surfaces, reflets, berges, lônes … ou peut-être est-ce lui qui nous a retournés et parcourus dans tous les sens… Car ce qui nous inspire, outre sa présence puissamment sensorielle, qui met nos sens en éveil, c’est la charge symbolique et métaphorique du fleuve et de l’eau, que la littérature évoque de manière riche et multiple.
Le fleuve est miroir de l’Homme. La rencontre du Rhône avec l’Homme a fait apparaître sur ses rives cités et monuments, forteresses et cloîtres, théâtres et nécropoles, scellant ontologiquement une histoire commune. Il a charrié sur son dos vivants et morts, jusqu’aux portes de la mer, tous en quête de l’inouï questionnement. Dans cette vision holistique du fleuve que permet la poésie, l’estuaire trouve son lien avec la source, les fleuves réels rejoignent les grands fleuves mythiques, le fleuve extérieur devient la métaphore de notre propre fleuve intérieur. Le lien métaphysique est avéré.
L’Homme voit le fleuve qui voit l’Homme…

Donnez-nous trois ou quatre adjectifs pour décrire le Rhône

Inépuisable, métaphysique, majestueux, douloureux.

Quel est votre meilleur souvenir avec le Rhône, ou un autre fleuve ?

Une semaine de résidence dans un cabanon au milieu de la Camargue. La réserve naturelle des Marais du Vigueirat, au bord du grand Rhône, nous avait accueillis dans le cadre d’un projet de création autour d’un texte d’un auteur norvégien, où il était question d’une danse de grues au cœur d’un marécage. Nous étions logés, les deux musiciens et nous, dans un endroit où personne n’a le droit de se promener sans guide, et nous cohabitions avec un groupe de bagueurs d’oiseaux ! Tous les matins à l’aube nous allions à pas de loups, voir les oiseaux dans les observatoires, et les taureaux qui venaient boire dans la lumière du levant. C’est resté gravé dans nos yeux et nos cellules, comme un rêve.

Une photo que vous affectionnez particulièrement ? Pourquoi ?

C’est une photo prise fin octobre 2020. Il s’agit de notre dernier projet, une création participative menée avec un groupe d’habitants du Pilat Rhodanien et du territoire de Vienne-Condrieu. Nous avions décidé de faire notre dernière répétition au bord du Rhône, vers Ampuis, et c’était comme un salut, un au-revoir au fleuve avant de nous quitter pour quelques mois et d’interrompre le projet en raison de la crise sanitaire. Ce projet a abouti le 10-11 juillet 2021 à Condrieu avec le spectacle « Nous sommes le fleuve ».

Avez-vous un fleuve préféré, lequel, pourquoi ?

La Loire. Parce qu’elle semble plus sauvage, moins marquée par l’homme. Et aussi pour les lumières envoûtantes et sans cesse changeantes de ses cieux.

Quel avenir imaginez-vous pour le Rhône ?

On parle aujourd’hui de « réensauvagement », de « renaturation »… des termes un peu paradoxaux puisqu’il s’agirait encore d’interventions humaines. Cela traduit une prise de conscience, porteuse d’espoirs si l’on choisit d’être optimistes… Nous commençons peut-être à réaliser les déséquilibres et les dégâts (parfois irréparables) engendrés par notre tendance à vouloir tout maîtriser, dominer et exploiter pour notre propre compte, tendance accélérée surtout depuis l’avènement de l’ère industrielle et de ce que l’on appelle aujourd’hui l’Anthropocène.
Et du coup, difficile de répondre à la question car nous avons tendance à confondre l’avenir que l’on imagine, avec l’avenir que l’on désire… En restant réalistes, nous imaginons un Rhône un peu moins anthropisé, un peu moins bétonné, un peu plus respecté, mais qui ne retrouvera pas son caractère sauvage, malheureusement. Une sorte de cohabitation Homme-Fleuve plus respectueuse, qui concilie le besoin de beauté et de poésie, le respect de la biodiversité et des équilibres naturels du fleuve, et la sacro-sainte « modernité » qu’il serait bon de redéfinir…

Parmi celles qui vous sont présentées, quelle citation préférez-vous ? Pourquoi ?

Celle de Mahmoud Darwich, tirée de son magnifique livre « Murale ». Elle était au cœur de l’un de nos spectacles, « Attends-moi à la porte de la mer », créé lors d’une résidence au Musée de Valence en 2014. Nous avons souvent repris cette phrase magique, qui pourrait s’apparenter à une sorte de mantra : le premier enseignement que nous donne le fleuve est que le temps n’existe pas, que tout est cycle, renouvellement et présence immédiate.

LA FATALISTE

Rien ne demeure pareil.
Tout fleuve sera bu par la mer,

et la mer n’est pas pleine
Rien ne demeure pareil.

Tout vivant marche vers la mort,

et la mort n’est pas pleine.

Mahmoud  Darwich

  • Nous sommes le fleuve © Troisieme Reve Theatre

    spectacle « Nous sommes le fleuve »

  • Echanges avec le public au Musee departemental Arles antique © Trosieme Reve Theatre

    Échanges avec le public au Musée départemental Arles antique

  • La barque Exposition Fleuves interieurs © Troisieme Reve Theatre

    La barque – Exposition Fleuves intérieurs

  • Bord du Rhone ile de la Platiere © Compagnie Troisieme reve

    Bord du Rhône sur l’île de la Platière

  • Au Musee departemental Arles antique © Compagnie du Troisieme reve

    Au Musée départemental Arles antique